Prévenir le suicide

Bethsaide05

Les débuts d’une psychothérapie ou, pour être plus précis, d’une pratique d’hygiène mentale, étaient, lorsqu’il était possible d’y avoir recours au camp, individuels ou collectifs. Les pratiques psychothérapeutiques individuelles consistaient en une sorte de « procédure de sauvetage». Elles avaient notamment pour but de prévenir les tentatives de suicide. Il était formellement interdit de sauver un homme qui tentait de se suicider. Nous n’avions pas le droit, par exemple, de couper la corde avec laquelle un prisonnier essayait de se pendre. Il était donc très important d’aller au-devant de ces tentatives afin de les empêcher de se produire.

Deux prisonniers, dont les mobiles étaient pratiquement semblables, nous avaient fait part de leur intention de s’enlever la vie. Les deux hommes avaient invoqué l’argument typique : ils n’attendaient plus rien de la vie. Il était donc nécessaire, dans les deux cas, de leur faire comprendre que la vie, elle, attendait quelque chose d’eux dans l’avenir. Nous avons découvert que pour l’un des deux hommes c’était son enfant qu’il adorait et qui l’attendait dans un pays étranger. Pour l’autre, c’était un projet plutôt qu’une personne. Cet homme était un savant et avait écrit une série de livres qu’il se devait de terminer. Son travail ne pouvait être réalisé par quelqu’un d’autre, tout comme le père était irremplaçable pour son fils.

Cette particularité, cette singularité qui caractérise chaque individu et qui donne un sens à sa vie influence autant le travail créatif que l’amour humain. Lorsqu’elle se rend compte à quel point elle est irremplaçable, une personne devient profondément consciente du fait qu’elle est responsable de sa vie. Une personne qui réalise l’ampleur de la responsabilité qu’elle a envers un être humain qui l’attend, ou vis-à-vis d’un travail qu’il lui reste à accomplir, ne gâchera pas sa vie. Elle connaît le « pourquoi » de cette vie, et pourra supporter tous les «comment» auxquels elle sera soumise.

V.Frankl Découvrir un sens à sa vie (Ed de l’homme 2006, p.85)